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Souplesse, enracinement et ordonnancement par le tai chi chuan

Souplesse par le tai chi chuan

Souplesse moelleuse

Le boucher taoïste « découpant le boeuf par l’esprit » donne en fait une leçon au prince. L’artisan s’intéresse non à la simple technique mais au mode de fonctionnement des choses. Les classiques évoquent la possibilité de retrouver la souplesse d’un enfant. En effet, les pratiquants confirmés témoignent d’un type de souplesse très particulier : une souplesse moelleuse, un corps semblable à du coton. De nouveau, il ne faut pas s’arrêter à l’aspect extérieur. Le plus intéressant et le plus utile, c’est qu’ils ont retrouvé, tel l’enfant, une grande malléabilité leur permettant de mieux s’adapter à leur environnement.

S’enraciner dans sa nature profonde

De même, l’enracinement en taijiquan ne se limite pas à pouvoir résister à une poussée ou à déraciner un partenaire bien ancré avec un geste en apparence anodin. En s’enracinant dans sa nature profonde, lieu par nature indemne, le pratiquant résiste mieux au stress ambiant. La pratique nous montre que l’on ne peut réellement s’ouvrir à l’Autre et l’accueillir qu’à partir de l’incorporation de nos racines et de notre axe. Elle nous indique comment élargir notre horizon sans perdre notre assise.

Conscience amplifiée

Le travail sur le regard est-il de l’ordre de l’ouverture ou de la conversion ? La mobilisation de la pensée créatrice – force opératoire des images intériorisées – pour passer du qi/énergie au shen/ esprit selon la deuxième étape de l’alchimie taoïste – provoque-t-elle un élargissement de la conscience ou une mutation qualitative de celle-ci ? La transformation résultant de telles opérations appartient-elle au registre du modelage ou du bouleversement complet ? Chacun trouve ses propres réponses au fur et à mesure de sa progression. Pour Nietzsche, les authentiques chercheurs se reconnaissent à leurs gestes significatifs (plus qu’à leurs idées) et à leurs regards flamboyants.

Ordonnancement intérieur

Je n’obéis pas à une tradition parce qu’elle ordonne, mais parce qu’elle ordonnance. Elle me fournit les moyens de transformer mon chaos intérieur en ordre. L’appropriation, dans ce contexte, n’est pas synonyme de possession ; elle s’apparente à l’assimilation, à la digestion, à la maturation. De tous temps, des   « initiés » se sont efforcés de comprendre la trame subtile régissant le mystère des choses – le Dao dans la tradition chinoise – non pour l’utiliser à leur propre profit, mais pour transmettre des clés d’accès au processus avec lequel ils ont appris à s’accorder et auquel ils doivent leur plénitude et leur liberté.

Devenir entendant

Ce type de « formation », présent dans de nombreux systèmes traditionnels, est aujourd’hui menacé. L’individu – ou plutôt l’éclaté – contemporain à qui tout est accessible, souffrant de boulimie consumériste – est-il encore capable d’entendre l’appel intérieur ainsi que les grandes voix du passé ? Peut-il surmonter le « bruit de fond » incessant et devenir entendant ?

Édito revu Espace Taiji n° 90 (2ème partie)

Crédit photo : Almereca