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Philosopher à l’arc

Chasser à l’arc, c’est apprendre à disparaître. À force de se rendre insignifiant, de quitter toute apparence humaine, on cesse aussi d’être soi. Se tenir au plus près des bêtes c’est aussi fréquenter au plus près l’animalité, sa propre animalité originelle ; enfouie et pourtant toujours si proche. En philosophant à l’arc », Jean-Paul Curnier nous entraîne dans cette expérience à la fois physique et mentale, archaïque et actuelle de la présence au monde.

Extrait pp. 150-151

Mais je dois encore de dire un chose, et très humblement : je suis profondément triste de ce que mes semblables ont fait de la Terre sur laquelle tu as vécu et sur laquelle il t’a été de plus en plus difficile de vivre et de circuler librement comme tes ancêtres l’ont toujours fait. Partout, ce ne sont que routes, grillages, barbelés, constructions et engins de mort qui roulent en tous sens (…). Ce qu’ils ont fait n’arrange nullement la vie des êtres vivants qui peuplent ce monde, pas même leur vie à eux (…)

Un jour, sans doute, les humains (…) ne mangeront plus ni ne tueront plus les animaux des forêts. Mais comme eux, alors, tes semblables disparaîtront parce que les humains auront transformé la Terre à leur façon et selon leur imagination qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’aura été la vie ici-bas depuis qu’elle existe. Le monde sera devenu un grand parc d’attractions, on vous y apprendra à être des bêtes comme ils l’entendent et il n’y aura plus de place pour tes semblables. Ni plus de place pour les humains comme moi.

C’est une chose extrêmement troublante : au fur et à mesure que ce monde se transforme sous la main des hommes, ma proximité avec toi me semble de plus en plus réelle et j’ai de plus en plus souvent la sensation de vivre, moi aussi dans la part d’ombre de ce monde, du côté des forêts, des sous-bois et des taillis, hors de la pleine lumière. J’ai de plus en plus l’impression d’appartenir avec toi à une histoire passée qui nous aurait laissés l’un et l’autre sur le bord de la route.

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