Eric Caulier

Les Espaces de l’homme – Alain Berthoz & Roland Recht

Les Espaces de l’homme, ouvrage collectif dirigé par Alain Berthoz et Roland Recht (Odile Jacob), questionne les rapports de l’homme avec son espace. Des chercheurs issus de divers horizons nous entraînent des mythes à l’architecture en passant par les sciences cognitives et le théâtre afin de mieux comprendre comment l’être humain élabore, organise et s’approprie l’espace.

Écoumène

par Augustin Berque

Le ma est une sorte d’espace-temps (…) le ma est essentiellement étranger au monde occidental, qui sépare le temps et l’espace. Il est spécifiquement japonais p. 50.

Écoumène (…) définissons-le d’ores et déjà comme la relation humaine à l’étendue terrestre ; avec la modernité, il a tendu à s’en abstraire. L’essence de cette évolution est contenue dans le dualisme cartésien, qui substitue à ce rapport existentiel la dichotomie entre le sujet individuel (…)  et l’étendue matérielle (…), ainsi que dans les principes de la cosmologie newtonienne, dans laquelle l’espace devient un absolu homogène, isotrope et infini ; le temps, par ailleurs, étant lui-même absolutisé pp. 51-52.

Dans ce qui est la trajectivité de l’écoumène, il y a incessamment cosmisation du corps par la technique et somatisation du monde par le symbole (…) le corps, à sa manière, prédique la conscience, laquelle prédique le monde en termes de représentations (…) D’autre part, le corps de tout être vivant prédique son environnement, c’est-à-dire qu’il l’interprète et l’utilise, en termes propres à son espèce p. 62.

Espace perçu, espace vécu, espace conçu

par Alain Berthoz

Le corps propre est lui-même spatial : il est à la fois sujet percevant et objet perçu (…) il est cet espace perçu dans ce que j’appelle l’espace vécu, c’est-à-dire l’ensemble des intentions, croyances, émotions et actions que génère le sujet percevant. Mais le mouvement est à double sens. L’espace perçu est aussi construit à partir de l’espace vécu (…) Il est profondément marqué des intentions de l’histoire de chacun (…). Il est soumis aux modulations et aux changements que détermine l’attention. Il est même influencé par l’émotion : l’espace du déprimé se restreint, celui qui accompagne la joie est agrandi par les émotions  p. 128.

Pour Poincaré (…) nous avons un instrument auquel nous rapportons tout, celui dont nous nous servons instinctivement, c’est notre propre corps. Il nous sert pour ainsi dire d’axe de coordonnées (…). Poincaré (…) distingue enfin deux espaces : l’un est restreint à des coordonnées liées au corps ; l’autre « étendu » (…). Il prétend donc que notre géométrie est faite par des associations entre les actes et leurs conséquences, et il nous propose donc de chercher les fondements de la géométrie dans l’organisation la plus primitive de l’action. Celle qui correspond au comportement de capture ou de défense qu’il appelle comportements de parade p. 137.

Et, dit Poincaré, c’est cette multiplicité de parades, et la coordination qui en résulte, qui est l’espace. Les travaux récents (…) ont confirmé cette prédiction p. 138.

… une théorie qui tend à démontrer que le système nerveux a internalisé les propriétés physiques du monde, et que cette internalisation contraint la perception p. 145.

Les théories récentes de Flash (…) suggèrent que la forme géométrique d’un mouvement de la main entre deux points n’est pas planifié par le cerveau sous la forme d’une trajectoire précise mais résulte de l’application d’un principe de minimisation de la variation de la trajectoire (un lissage). Il suffit de préciser le point de départ et le point d’arrivée et éventuellement un point de passage p. 146.

… je m’irrite des formes que proposent les architectes d’aujourd’hui : en privant l’observateur de formes visuelles courbes, ils privent l’observateur de la capacité de reconstruire le mouvement dans son cerveau. Il suffit de voir n’importe quel tableau de Van Gogh ou de Degas pour comprendre en deux secondes ce que je veux dire p. 148.

Mary Carruthers aborde le concept de « place » dans les arts de la mémoire au Moyen-Âge. Élément essentiel de l’éducation, la mémoire sert d’abord à stocker des informations. Conçue en terme d’espaces et de lieux, elle devient un puissant mécanisme d’invention. L’auteur nous montre toute l’importance des images dans la construction des concepts, idées et pensées. Elle nous fait pénétrer au coeur des techniques utilisant tous les matériaux sensoriels pour développer la « capacité à imaginer » au sein d’espaces intérieurs remarquablement agencés.

Roland Recht nous fait découvrir différentes déclinaisons de l’espace architectural. En partant de « l’espace comme mesure », il nous emmène à « l’espace comme langage » en passant par « l’espace comme spectacle » et « l’espace comme forme ».

Nombre d’articles intéressants enrichissent ce beau volume de près de 400 pages.

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