John Lagerwey, sinologue d’origine américaine a effectué de longs séjours dans la Chine profonde. Le continent des esprits, édité chez Maisonneuve & Larose dans la collection Voyages Intérieurs (Paris, 1993), est un bel ouvrage qui réunit à la fois des textes intéressants et de belles photos. Dans le chapitre II « La montagne, monde des esprits » (pp. 58- 89), John Lagerwey nous livre les arcanes de l’itinéraire initiatique lié à l’ascension du Mont Wudang, lieu de la création mythique du tai chi chuan.
Introduction
La Chine elle-même, selon un nom qu’elle se donne depuis plus de deux millénaires, est le Continent des Esprits. Régner sur la Chine (…) voulait non seulement dire gouverner les Chinois, mais aussi rendre un culte régulier aux dieux locaux, ceux notamment qui géraient les fleuves et surtout les montagnes saintes de la Chine p. 12.
De la même manière que l’eau se transformait en nuages et sortait de la bouche des grottes, le taoïste apprenait à chauffer ses souffles intérieurs pour les extérioriser (…).
La montagne et le corps humain étaient donc assimilés l’un à l’autre. Et ils étaient tous deux des images parfaites de ce qui, aux yeux des Chinois, constitue un univers : un ciel-terre p. 13.
La montagne, monde des esprits
Les plus anciennes hagiographies chinoises (…) décrivent la majorité de ces Immortels comme des hommes de la montagne. Ils allaient chercher là la solitude et les produits naturels nécessaires à l’accomplissement de leur oeuvre p. 61.
À propos du Wudangshang (…) le pic de la Colonne du ciel, qui s’élève à mille six cent douze mètres au-dessus de la mer, ressemble à une colonne de bronze coulé ou de jade poli. S’arrachant à la terre, il se tient comme une grue au-dessus de tous les autre pics : il est depuis longtemps connu comme la colonne qui, seule, soutient le ciel p. 63.
Monde à part, monde clos, le pèlerin ne peut entrer dans la montagne sans s’y être préparé ; aussi le lieu de passage du monde profane au monde des esprits est-il presque toujours marqué par une porte d’entrée. À Wudangshan, par exemple, cette porte se trouve à plusieurs kilomètres du pied de la montagne. Sur le linteau, on lit quatre caractères gravés de la main même de l’empereur : Montagne céleste qui gouverne le monde pp. 64-65.
L’ascension du Wudangshan
On n’allait pas dans le monde des esprits inconsidérément et on ne s’attendait pas à en revenir intact p. 74.
Dans le cas de l’empereur du Nord, surnommé aussi le Vrai Guerrier, il s’agit d’une alliance avec un dieu très puissant (…). Ce dieu était et reste le saint patron des arts martiaux et des exorcistes. C’est à ce titre qu’il est invité à tout rituel taoïste important et qu’il a même en permanence sa place dans l’aire sacrée p. 75.
Dans le Wudangshan, il était possible de revivre cette légende – celle du Vrai Guerrier – (…) l’empereur Chengzu des Ming, au cours de son règne, (1403-1424), fit littéralement couvrir la montagne de bâtiments religieux (…). C’est précisément cette symbiose des oeuvres divines et humaines qui a valu au Wudangshan son plus beau nom, celui du mont de la Grande Harmonie p. 76.
L’ensemble architectural évoque les différentes étapes de l’alchimie intérieure qui est le fondement du travail intérieur en tai chi chuan : le puits où on lime l’aiguille, l’étang aux Larmes, la terrasse octogonale, le pont sur la rivière de l’Épée, le palais de l’Empyrée pourpre, le hall des Dix directions, la grotte du Dieu du Tonnerre, la porte du Sud, le pavillon de l’Ascension, le précipice du Sacrifice du corps, la pierre de l’Épreuve du coeur, le Palais où l’on va en audience au ciel, les trois portes du Ciel, le palais de la Grande Harmonie, le hall de l’Officier puissant, les cent marches réparties en neuf tournants et enfin le hall d’Or où trône le Vrai Guerrier encadré par deux serviteurs.