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L’art de devenir par la pratique du tai chi chuan

L'art de devenir par la pratique du tai chi chuan

L’art de devenir : nombre de pratiques apprennent à être, le tai chi chuan va plus loin. Il initie le pratiquant à devenir.

Infiltrer le quotidien

Le taijiquan comprend de multiples facettes : de la gymnastique douce à l’art de combat en passant par le qi gong. Cet art se transforme en voie lorsqu’il révèle des applications possibles dans l’existence de tous les jours. La pratique n’est plus, alors, enclavée, circonscrite à l’intérieur de l’espace-temps de l’entraînement. Elle infiltre le quotidien et imperceptiblement, progressivement, s’installe dans le domaine de l’ordinaire. Ce transfert, cette diffusion dans la vie quotidienne ne résulte pas d’une décision. Elle s’effectue spontanément, graduellement.

Le débutant, trop souvent, idéalise le taijiquan. Les médias mettent en scène des prouesses extraordinaires effectuées grâce à la maîtrise de l’énergie. L’efficience réelle se situe pourtant sur un tout autre plan. Ni surhomme, ni wonder woman, le pratiquant de la boxe du faîte suprême se contente d’actualiser ses potentialités. En exploitant ses ressources cachées, il se révèle. En renouvelant sans cesse ce processus, il cultive l’art de devenir.

Un augmentateur

L’authenticité de la pratique, pour moi, ne se trouve ni dans le rattachement à une généalogie généralement fantaisiste, ni dans l’appartenance à un courant soi-disant secret. Elle me semble d’abord relever d’une manière de pratiquer la forme qui vise à la redécouverte d’une disposition kinesthésique universelle.

J’ai souvent insisté sur le fait que les formes ne sont pas un objectif mais un moyen. En effet, je pense que l’exercice quotidien en taijiquan n’a pas pour objet l’intériorisation d’une norme mais la redécouverte et l’actualisation de la plus grande gamme possible de capacités gestuelles, sensitives et attentionnelles.

L’expérience m’a montré, en outre, que la transmission d’une telle voie demande plus qu’une connaissance approfondie du sujet. Elle réclame une puissance personnelle. Il ne suffit pas de transmettre un témoin comme dans une course relais. Le transmetteur se doit d’être un augmentateur. Il a le devoir non seulement de réappropriation, mais aussi de fructification du dépôt reçu.

L’art de devenir en épousant les transformations

L’adepte doit non seulement faire sien mais aussi y mettre du sien. Il n’obéit pas à une tradition parce qu’elle ordonne, mais parce qu’elle ordonnance. La pratique traditionnelle lui fournit les moyens de transformer son chaos intérieur en ordre. L’appropriation, dans ce contexte, n’est pas synonyme de possession. Elle s’apparente à l’assimilation, à la digestion, à la maturation. Jamais définitive, elle se doit d’épouser les transformations.

De tous temps, des humains se sont efforcés de comprendre la trame subtile régissant le mystère des choses. Les anciens Chinois l’ont dénommé « Dao ». Les initiés utilisent cette compréhension pour transmettre des clés d’accès au processus avec lequel ils ont appris à s’harmoniser. En s’accordant aux multiples fluctuations, ils s’ouvrent à la plénitude et conquièrent leur liberté.

Édito revu Espace Taiji  n° 90

Crédit photo : Almereca