L’aisance de l’agir efficient
J’ai toujours été interpellé par la facilité et l’aisance dont fait preuve une personne experte dans son domaine. Pourtant, la plupart du temps, l’expert lui-même ne comprend pas le cheminement qui l’a amené à réaliser un geste efficient. L’évidence et la légèreté propres à ce type d’agir suggèrent en outre la liberté et le naturel.
Le tai chi chuan pratiqué dans ses diverses dimensions – travail intérieur, formes, mains collantes et applications – induit en fait cet état. Certaines approches scientifiques occidentales aident à mieux en cerner le mode opératoire. La boxe du faîte suprême se caractérise par une certaine manière d’utiliser le corps, de le percevoir en interaction avec l’environnement et d’émuler l’agir efficient.
Processus de centration
Le tai chi chuan construit le geste à partir des appuis osseux : les classiques parlent de « la force des os et des tendons ». L’ancrage et l’axialité permettent l’utilisation du flux gravitaire et l’absorption de la masse et des forces du partenaire dans notre structure ainsi que leur redirection dans la terre.
Le pratiquant, dans la posture de l’arbre d’abord, puis dans n’importe quelle autre, s’exerce à la centration. Les centres de la structure osseuse, de la chair et de notre représentation de l’humain – prépondérance accordée aux pulsions, aux émotions ou à l’intellect – interagissent. Notre centre se présente alors comme une synthèse de ces centralités relatives, mouvantes et plastiques.
Mobilisation de l’ensemble des ressources
L’utilisation habile de son centre dans les formes engendre circularité et rondeur dans les mouvements. L’exercice des mains collantes, sur place et en déplacement, conduit à la perception et à la connexion avec le centre de l’autre. L’adepte, entrant dans un autre niveau de réalité – un autre rapport corps/espace/temps – perçoit et agit à partir d’un troisième centre. Ce troisième centre, tel le tai chi, résulte de l’opposition complémentaire des centres des deux protagonistes.
De manière paradoxale, cette centration ne rime pas avec concentration. L’attitude attentionnelle spécifique au tai chi chuan est diffuse, divergente, flottante. L’attention n’est pas focalisée, elle est globale. Elle mobilise l’ensemble des sens et du système nerveux. Les différents canaux sensoriels sont sollicités de manière polyphonique. La pratique vise à entrer dans une disposition qui encourage l’organisme à mobiliser toutes les ressources motrices, sensorielles et cognitives.
Édito revu Espace Taiji n° 88 (1ère partie)
Crédit photo : Almereca