Écologie vécue : le primat des relations
L’écologie vécue résulte d’un cheminement. Malgré l’individualisme forcené caractéristique de nos modes de vie contemporains, nous percevons intuitivement que nous sommes des êtres relationnels. Nombre d’approches scientifiques récentes s’intéressent davantage aux processus et aux relations qu’aux événements et aux entités.
Les nouveaux modèles de référence sont constitués de multiples réseaux et toiles enchevêtrés. La pratique du tai chi chuan permet de ressentir dans sa chair ces nouvelles modélisations représentant l’être humain traversé par les flux de la vie.
Promouvoir une écologie vécue
Notre École de tai chi insiste sur le travail intérieur (qigong, neigong). Elle enseigne également les exercices avec partenaire. Ces deux facettes permettent d’incorporer la vision de Tim Ingold. Cet anthropologue considère l’évolution comme une modulation temporelle d’un champ relationnel total. Le chercheur britannique s’intéresse à l’expérience de ceux qui ont incorporé ce type d’interactions.
Leurs compétences reposent sur leur capacité à entrer dans le flux du devenir du monde. Ils suivent ainsi son cours en l’infléchissant selon les buts qu’ils poursuivent. Il s’agit là, en fait, d’une parfaite description de l’étape ultime – la participation au Dao – dans diverses pratiques taoïstes anciennes.
Une approche pragmatique
De manière très pragmatique, la condition fondamentale pour élargir le champ perceptif et pour sentir la circulation de l’énergie est la détente. Celle-ci nécessite un travail précis des alignements (utiliser la gravité), des coordinations (conserver les alignements posturaux dans la dynamique du geste) ainsi qu’un renforcement des jambes et des muscles profonds.
Les enseignants de notre École sont particulièrement attentifs à l’intégration de ces bases. Les textes classiques évoquent le développement d’une énergie tenace, fondement de l’énergie élastique. Pour comprendre ces deux types d’énergie, quelques notions en rapport avec la biomécanique et la tenségrité sont éclairantes.
Exercer l’attention
Pour percevoir les alignements osseux ainsi que la sphère résultant de subtiles connexions internes, j’utilise des tests avec partenaire mis au point dans les master classes que j’anime depuis plus de vingt ans. Que ce soit avec des enseignants expérimentés ou avec des débutants, pour moi, le rôle du maître ne se limite pas à expliquer des contenus, sa fonction essentielle est d’exercer l’attention. Cette dernière apparaît aujourd’hui comme l’un des biens les plus précieux et les plus rares. Yves Citton, après avoir dirigé un ouvrage sur L’économie de l’attention milite Pour une écologie de l’attention.
Être attentif, attentionné, se soucier, prendre soin, comme le mot anglais care l’indique, font partie d’une même démarche. Notre pratique du tai chi chuan vise à prendre soin de l’être. L’efficacité de notre démarche ne relève pas d’un voeu pieux mais d’une posture d’abord éprouvée en soi et pour soi. Nous renouons avec les principes de santé mis en évidence par la communauté des thérapeutes décrite par Philon d’Alexandrie : cultiver l’harmonie intérieure et la sérénité afin de se ré-accorder avec les grandes lois universelles.
Écologie gestionnaire alliée à une écologie profonde
Notre approche du tai chi chuan se veut écologique. En effet, nous utilisons pour nos repas des produits frais, locaux (circuits courts privilégiés). La préservation d’une ambiance conviviale et le choix des sites facilitent la mise en résonance avec l’environnement. Nous n’en restons pas là, nous allons plus loin.
Notre enseignement développe un vécu intime des deux faces de l’écologie : l’écologie gestionnaire et l’écologie profonde. Nous apprenons à gérer nos propres ressources afin de soutenir nos modes de vie. De cette façon, nous retissons des liens avec les autres et avec notre environnement. Nous sommes attentifs aux signes avant-coureurs d’épuisement de nos énergies. C’est pourquoi, nous expérimentons le renouvellement, le recyclage, la transformation des énergies. La plongée dans cette dynamique relationnelle nous amenant dans les entrailles du care tout autant qu’au coeur de l’écologie, rend de plus en plus caduque la distinction entre l’environnement et l’être qui l’habite.
Édito revu Espace Taiji n° 95
Crédit photo : Almereca