Dissociation de la tête et de la main
La 11ème conférence internationale consacrée au taoïsme s’est déroulée du 17 au 20 mai 2017 à l’Université de Paris Nanterre. Elle regroupait en fait des pratiquants, des chercheurs et des artistes. La vocation du taoïsme a toujours été de réunir des connaissances provenant d’horizons divers.
Animant un atelier et une table de discussion, j’ai une fois de plus ressenti le fossé séparant les pratiquants des chercheurs. Les premiers apprennent « avec » un expert (professeur ou maître), ils s’imprègnent de sa manière de faire. Leur objectif est donc de se transformer. Les seconds apprennent « sur » un sujet, ils recueillent des informations, les analysent, les classent. Leur projet est plus précisément documentaire et descriptif.
La dissociation de la tête et de la main affaiblit par ailleurs le moral et le mental. Dans nos sociétés clivées, démoralisation et désengagement gagnent ainsi chaque jour du terrain.
Apprendre de l’intérieur
La pratique-étude des arts internes m’a montré comment rendre les opposés complémentaires en les intégrant dans une même dynamique. La logique du tiers inclus est le fondement même du taijiquan.
Très jeune, j’ai compris l’importance d’apprendre de l’intérieur. Les arts internes m’ont appris à trouver et à conserver la bonne distance afin d’habiter les choses tout en me laissant habiter par elles. Le tai chi chuan apprend à écouter, à sentir, à être attentif à son corps, à l’autre, au monde. Il développe en fait les qualités fondamentales de tout apprentissage, il apprend à apprendre. Il est mise en route, mouvement vers … comme l’action de connaître. Son mode opératoire : réunifier son corps, retrouver de la fluidité, suivre la propension des choses pour s’accorder avec le monde. Se laisser instruire par le monde, n’est-ce pas là la base de tous les apprentissages ?
La puissance douce
Être fort et doux à la fois, c’est tendance, c’est possible et ça facilite la vie. Le tai chi chuan est l’illustration parfaite de la puissance douce. Les bons artisans ont toujours cultivé ce savant mélange de force et de douceur. Ils ont découvert l’importance de la détente pour la précision du geste. En collaborant avec la matière, les artisans prolifiques ont progressivement appris l’art de se gouverner eux-mêmes. Ils ont longuement exploré les relations entre l’oeil et la main. Les maîtres artisans savent tous que le moindre mouvement de la main implique le corps entier. Ils connaissent l’importance du rythme.
Les artisans et artistes accomplis amplifient leur champ de conscience afin de faire corps avec la matière qu’ils travaillent et qui les travaille. Les meilleurs d’entre eux ont acquis une capacité d’anticipation. Ils ont toujours un léger temps d’avance comme pour mieux accompagner les choses en train de se faire. Nous retrouvons là toutes les caractéristiques de notre approche des arts internes.
Ré-accorder le penser et le faire
Dans notre École de tai chi chuan, nous commençons par la posture de l’arbre, posture matrice de notre pratique. Je me retrouve ainsi régulièrement en face d’une « forêt ». Je suis un « homme des bois ». Dans mon enfance, je me ressourçais régulièrement au coeur de la forêt. Au sein de cette agrégation d’arbres singuliers, je perçois les multiples enchevêtrements du vivant. Dans cette posture, l’immobilité n’est qu’apparente. Lorsque l’on quitte l’agitation du quotidien, la prise de conscience de l’activité intérieure s’intensifie, le temps se suspend. En devenant « arbre », on relie le haut et le bas. En devenant « forêt », le groupe participe de la réunion de la Terre et du Ciel.
J’utilise également les principes actifs du tai chi chuan pour sensibiliser les managers à l’importance de ré-accorder le penser et le faire.
Édito revu Espace Taiji n° 104
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Crédit photo : Georgette Methens-Renard