L’anthropologie théâtrale, est pour Eugenio Barba (l’Entretemps) la science du « corps dilaté ». Elle étudie ce qui précède et rend possible l’expression artistique. Elle est, en outre, le fruit de nombreux voyages. Élaborée au cours de longues répétitions silencieuses, elle se focalise en fait sur la question de la présence de l’acteur. L’auteur insiste beaucoup sur la précision et l’exactitude.
Genèse de l’anthropologie théâtrale
Originaire d’un petit village de l’Italie du Sud, Eugenio Barba fut marqué par les cérémonies religieuses. Ensuite, à quatorze ans, il entre dans une école militaire. Après avoir connu l’immobilité du croyant qui prie, il découvre celle du soldat au garde-à-vous. Son émigration dans les pays nordiques l’amène à être attentif aux mouvements « pré-expressifs ». Il apprend à voir l’endroit du corps où naît une impulsion, à localiser son trajet, à comprendre son dynamisme.
Pendant des années j’ai travaillé avec des acteurs de l’Odin Teatret comme « maître du regard » repérant la « vie » qui se manifestait (…) en mettant en évidence les multiples sens qu’elle pouvait prendre p. 21.
(…) je suis arrivé à voir au-delà de la surface technique et des résultats stylistiques de traditions spécifiques p. 25.
L’anthropologie théâtrale
L’analyse transculturelle montre qu’on peut repérer dans ces techniques certains principes qui reviennent (…) la base pré-expressive constitue le niveau d’organisation élémentaire du théâtre (…) En général, la profession de l’acteur commence par l’assimilation d’un bagage technique qu’il personnalise. La connaissance des principes qui gouvernent le bios scénique permet quelque chose de plus : apprendre à apprendre pp. 30-31.
Principes-qui-reviennent
Parler d' »énergie » de l’acteur revient à utiliser un terme qui se prête à mille équivoques (…) Étymologiquement il signifie « être à l’oeuvre » p. 42.
Tout cela pour arriver à ce laborieux équilibre de luxe d’une posture de base qui se déploiera ensuite dans l’étonnante légèreté des arabesques et des attitudes p. 44.
Des expériences ont été faites avec des acteurs professionnels. Si on leur demande d’imaginer qu’ils portent un poids, qu’ils courent, qu’ils marchent, qu’ils tombent, qu’ils sautent, cette simple imagination produit immédiatement une modification de leur équilibre, tandis qu’elle ne laisse quasiment pas de trace dans l’équilibre d’autres personnes pour qui l’imagination reste un fait mental sans conséquence physiques perceptibles p. 45.
Mais cet enchevêtrement de micromouvements révélé par les laboratoires scientifiques où l’on mesure l’équilibre, nous met sur une autre piste : c’est là la source de la vie qui anime la présence de l’acteur p. 46.
« Les pieds sont le centre de l’expressivité et communiquent leurs réactions au reste du corps » (Jerzy Grotowski) p. 48.
La danse des oppositions
L’énergie (…) n’est pas le résultat d’une simple et mécanique altération de l’équilibre mais d’une tension entre les forces antagonistes (…) Le corps de l’acteur révèle sa vie au spectateur en une myriade de tensions de forces opposées (… ) Dans l’opéra de Pékin, tout le système codifié des mouvements de l’acteur est érigé sur ce principe : tout mouvement doit commencer dans la direction opposée à celle vers laquelle il se dirige p. 50.
Tous ces acteurs modifient le degré du regard habituel propre à la vie quotidienne. Ainsi se trouve modifiés leur posture physique, le tonus musculaire du buste, l’équilibre et la pression des pieds sur le sol. À travers l’incohérence cohérente du regard extra-quotidien, ils opèrent un changement qualitatif de leur énergie p. 55.
(…) une séquence particulière du Nô (…) L’acteur principal (…) est assis au centre du plateau immobile comme un roc (…) Le spectateur non initié a l’impression que l’acteur est inerte et que sa position n’exige aucune habileté particulière. Mais en réalité l’acteur danse ; il danse intérieurement. C’est une technique maîtrisée et dépassée, qui se nie elle-même. C’est un théâtre qui se transcende. On l’appelle l' »action du silence » ou « danser avec le coeur » p. 57.
» La véritable expression – a dit Grotowski (…) – est celle de l’arbre » p. 61.
L’énergie
Pour l’acteur, l’énergie est un comment et non un quoi (…) Il est cependant fort utile de penser ce comment à la manière d’un quoi, d’une substance impalpable que l’on peut manipuler, modeler, facetter, projeter dans l’espace, absorber et faire danser à l’intérieur du corps. Ce ne sont pas là des rêves mais des imaginations efficaces p. 89.
Pina Bausch ne cesse de dire combien il est important pour un danseur de savoir danser assis, apparemment immobile sur une chaise, en dansant dans son corps avant de danser avec le corps p. 94.
L’acteur de l’Opéra de Pékin pourrait reprendre ici sa formule brève et efficace : « Movement stop, inside no stop » p. 113.
Chaque tradition et chaque acteur localisent le centre d’où émane l’énergie en un point différent du tronc (…) ce n’est pas l’énergie qui nous permet de découvrir sa source; c’est au contraire en imaginant le lieu du corps où se situe cette source qu’on peut penser l’énergie, l’expérimenter (…), la décliner en de subtiles variations, l’intensifier (…) p. 120.
La dilation n’appartient pas au physique, mais au corps-esprit p. 138.
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