Simili à l’époque du faux et du clinquant
Notre époque valorisant le faux et le clinquant, les imitations en tout genre prolifèrent. Les simili taiji, comme le simili cuir, ont donc un bel avenir. Les paroles creuses et les pratiques correspondantes séduisent à tel point que leurs instigateurs finissent par croire à leurs propres mystifications. À ce moment, ceux qui ont quelque expérience de la chose deviennent dérangeants. Les réducteurs de tête sortent alors leurs armes favorites : les rumeurs et les intrigues.
Assumer la portée des termes
C’est très facile et ça n’engage pas à grand-chose de répéter comme une litanie que le taijiquan est un art interne traditionnel d’origine taoïste. Assumer la portée de chacun de ces termes demande beaucoup plus de courage et d’authenticité. En effet, comment envisager un art sans création, une tradition sans transmission, une dimension interne sans ésotérisme et un taoïsme sans magie et sans mystique ?
Art
L’art véritable procède d’une relation à la vie dont il exprime les multiples possibilités. Il implique et engendre par ailleurs liberté, ouverture, aventure. Il est d’abord une quête incessante de beauté, d’essence, de plénitude, de vérité. L’artiste véritable ne saurait donc marcher là où prédomine la tyrannie du marché, il se tient éloigné du folklore, de l’amalgame, du n’importe quoi stupéfiant d’ineptie et de laideur.
Tradition
Notre société contemporaine confond volontiers information et savoir, transmission et communication : les autoroutes de l’information ne sont pas les voies de la connaissance. La transmission traditionnelle se distingue par son caractère initiatique ouvrant une brèche dans la conscience ordinaire. Elle confère non des savoirs mais une puissance à qui la détenait déjà potentiellement, la puissance d’être « soi ». Elle conduit non à l’individualisation mais à l’individuation.
Ésotérisme
La dimension intérieure (ésotérique) est celle qui permet d’appréhender l’essence, de cheminer vers le centre, de goûter la substantifique moelle. Son intégration procure liberté, autonomie et conscience, c’est probablement ce qui la rend si dérangeante. Quand elle n’est pas interdite, elle est dénigrée (discrédit, calomnie, amalgame, marginalisation, mépris) ou travestie (dénaturation, déformation, falsification).
Au début de la dynastie des Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.), « Les doctrines de Huangdi et de Laozi » désignaient le taoïsme. Cette association des deux noms fut à l’origine du courant Huanglao. L’association des pratiques ésotériques et techniques magiques (Huangdi) avec une mystique (Laozi) constitue une structure mythique essentielle pour comprendre le taoïsme. Laozi est le symbole du sage caché et l’Empereur jaune, celui du souverain. La non action du sage agit au travers du gouvernement du prince. Le prince et le sage, Huangdi et Laozi, réunis en Huanglao, sont une métaphore de la Voie et de son action.
Consommer des simili ou s’engager dans une voie
Dans une société utilitariste, férocement mercantiliste, les créatures infantilisées se complaisant dans l’agitation débilitante et quêtant anxieusement sollicitations et leurres divers préfèrent consommer du simili taiji. Ces taiji sans vie et sans esprit (pré-digérés) sont assimilés sans problèmes. Néanmoins, les rares individus ayant conservé le sens de l’humain n’auront de cesse de transmettre la puissance créatrice inhérente à la Voie de l’intériorité et, pour ceux-là, le taijiquan originel représentera toujours un vecteur privilégie de cette transmission.
Édito revu Espace Taiji n° 62
Crédit photo : Almereca